De la cigarette à la pipe sacrée 6 : Le voyage en terre Hopi et la rencontre des Kachinas
- Lorraine
- il y a 4 jours
- 10 min de lecture
Cet article fait partie d’une série consacrée à la rencontre avec la Pipe Sacrée. Tu peux retrouver les articles précédents : De la cigarette à la pipe sacrée : mon chemin avec le Tabac ; De la cigarette à la pipe sacrée 2 : entre les mains de l’invisible ; De la cigarette à la pipe sacrée 3 : une porte s’ouvre doucement ; De la cigarette à la pipe sacrée 4 : quand le tabac murmure à l’oreille ; De la cigarette à la pipe sacrée 5 : le voyage de la pipe sacrée commence.

En route vers la Terre des Hopis
Le matin, nous quittons notre campement pour une nouvelle étape de notre voyage. La route nous appelle. Loin des autoroutes bruyantes, elle devient un chemin qui se déroule doucement sous nos roues. Les pins de l’Arizona, sombres et imposants, se font de plus en plus rares, laissant place à une immensité désertique, une toile de fond où se mêlent les teintes de l’ocre et de l’argile. La terre s’étend à l’infini, un océan de poussière et de lumière, baigné par un soleil qui semble y avoir posé ses pinceaux.
Une vision lointaine et une intuition familière
Plus nous avançons, plus le paysage s'ouvre. Au loin, à l'horizon, apparaissent les mesas, ces plateaux majestueux. Elles se dressent comme des îles de pierre au-dessus de l'océan de poussière, une vision à la fois étrange et familière. Mon cœur s’emballe. Ce n’est pas le frisson d’une simple découverte, mais la vibration profonde d’un retour vers quelque chose de familier. Puis, sans prévenir, une petite pancarte surgit au bord de la route : « Hopi Land ». Une vague de joie pure et d'émerveillement m'envahit. Le temps s'est arrêté. À cet instant précis, nous avons franchi un seuil invisible pour entrer dans un monde où les pierres et les esprits dialoguent en silence. Ici, l'humain n'est plus le maître, mais un humble invité. Nous voici sur ces terres sacrées, chez les Hopis.
Premiers pas sur la Seconde Mesa
Nous nous installons au centre culturel Hopi sur la Seconde Mesa, notre refuge pour les quatre prochaines nuits. Le lieu respire le calme et la sérénité. Nos sens s’ouvrent, s’accordent au rythme lent de cet endroit. La chaleur sèche, l'horizon infini, le silence habité... Tout est une invitation à ralentir, à écouter.
C’est là que nous faisons notre première rencontre. Un homme, un Navajo, propose les poteries de sa femme, Delaine, une Hopi. Sur son étal, au milieu des jarres aux motifs géométriques, une petite Pipe en terre attire immédiatement le regard de Martha. Son instinct est infaillible. Elle la contemple, la prend dans ses mains, et le dialogue commence. L’homme nous parle des histoires Hopis, de la place de la Pipe dans leur culture. Martha, portée par ce lien invisible, acquiert la petite Pipe.
Je lui demande s’il a du cottonwood, ce bois avec lequel sont sculptés les Kachinas, un bois que je recherche pour mon compagnon. Il me dit que son ami Richard, qui en vend d'habitude, n'est pas là, mais qu’il en a peut-être chez lui. « Je serai là demain ou après-demain », me promet-il. Une promesse simple, mais porteuse d’un espoir : dans ce monde de synchronicités, chaque rencontre est une porte vers l’inattendu.

La cérémonie Niman : un cadeau des Esprits
Guidées par l’intuition, nous nous arrêtons dans une petite boutique de souvenirs, tenue par deux femmes. L’une d’elles, vive et directe, nous pose des questions. « Avez-vous un guide ? Que voulez-vous faire ? » Nous lui répondons que oui, nous avons un guide pour le lendemain. Sa question suivante fait battre mon cœur plus fort : « Allez-vous à la cérémonie de samedi ? »
« Quelle cérémonie ? » demandai-je, à peine capable de parler.
« Niman, la cérémonie du départ des Kachinas », me répond-elle, comme si c’était la chose la plus normale au monde.
Je ne peux pas y croire. L’alignement des étoiles, la synchronicité, la chance. Elle nous explique que la cérémonie vient tout juste d'être décidée, suite à un alignement céleste particulier, et qu’il nous faudra l’accord du leader spirituel. Mais, ajoute-t-elle avec un sourire, notre guide est le propre frère de ce leader. L'univers nous sourit.
La bénédiction de la pluie
Nous continuons notre promenade et rencontrons Gerald, un voisin, artisan de bijoux en argent d'une beauté époustouflante. La conversation s’engage naturellement. Il nous demande si nous avons un guide, et nous apprenons que notre guide est son parrain. « Allez-vous à la cérémonie de Niman ? », demande-t-il, comme un écho à la boutique. Il nous révèle qu’il est lui-même un des danseurs. Il nous parle de l’engagement, des jours de jeûne avant le grand rituel, du poids des masques, du manque de jeunes pour prendre la relève. J'apprends qu'en préparation, les hommes se retrouvent chaque soir dans la Kiva, l'espace de cérémonie, pour se préparer, prier et fumer le Tabac. Une fois encore le Tabac, dans sa forme sacrée, est un pilier d’une tradition spirituel.
Soudain, une pluie fine se met à tomber, d’une légèreté presque surnaturelle. Sans un mot, Gerald sort et nous le suivons sous les gouttes, comme appelés par un souffle invisible. Il nous regarde dans les yeux, ses mots se font plus intimes. « C’est un bon présage, » nous dit-il, « un signe que les esprits entendent ce dont nous parlons. » Il nous encourage, avec une conviction sereine, à parler de notre souhait de participer à la cérémonie avec son parrain, notre guide, dès le lendemain.
Un cadeau des Esprits
Le soir, de retour dans notre chambre, je vois Martha, penchée sur son téléphone portable, taper un message avec la concentration d’un chef d’orchestre. Son sens de l'organisation est sans égal ; elle tisse des liens, planifie et arrange les choses dans l'ombre, avec une discrétion et une efficacité qui ne cessent de m'émerveiller. Soudain, elle relève la tête, un sourire aux lèvres.
Elle m’annonce que l’autorisation nous a été accordée pour la cérémonie de Niman le samedi matin. Je lève les yeux vers le ciel, le cœur débordant de gratitude pour le Créateur, les Esprits et les Kachinas. Ce voyage est un pèlerinage, où chaque pas, chaque rencontre, chaque parole échangée est une offrande.
Un guide et une sagesse ancienne
Le lendemain matin, notre guide arrive dans une vieille voiture fatiguée, mais avec un sourire qui illumine le paysage. Son accueil est franc et chaleureux, malgré un accent si prononcé que je me dis que le défi de la compréhension sera grand. Il nous offre une sagesse simple et profonde : « Pour les Hopis, les visiteurs sont comme les nuages. Ils ne font que passer, mais tout comme les nuages apportent la pluie, les visiteurs sont respectés, honorés et accueillis, car ils portent en eux une part du monde qui vient les rencontrer. »
Nous montons à bord et il nous conduit à travers les différents villages Hopis, nous dévoilant leurs histoires, leurs secrets. Il sème des récits comme on sème des graines. Nous marchons ensemble, cueillons des plantes médicinales, et il nous explique leurs usages, leurs vertus. C’est un moment d’échange simple, mais teinté d’une profondeur rare.

Quand la terre murmure
Durant notre séjour, les mondes se superposent. Ce voyage, qui devait initialement nous conduire au rassemblement annuel des « Pipe Keepers » à Pipestone, au Minnesota, a pris un tout autre chemin. La plupart des anciens n’ayant pu faire le déplacement, des conférences via Zoom ont été organisées pour qu’ils puissent partager leur sagesse. Martha, en tant que coordinatrice de ces événements, participe à ces conférences depuis notre chambre, via Zoom. J’assiste à certaines de ces rencontres virtuelles, absorbant la sagesse des aînés, écoutant leur relation à la Pipe Sacrée. Et pourtant, en même temps, mes pieds foulent cette terre Hopi qui m'a si souvent appelée.
Parfois, je quitte la chambre et me glisse dehors, pour me relier à la Terre. Mes pas se mêlent à ceux des générations passées. J’imagine les pieds de Grandmother Medicine Song quand elle n’était qu’une petite fille, foulant ce même sol. Je sens la mémoire dans chaque grain de sable, la sagesse enfouie dans chaque pierre. C’est une connexion profonde, un murmure invisible qui me remplit d'une gratitude immense.
Le conteur et la maison sur la mesa
C’est là que je croise de nouveau l'homme à l’étal de poterie, celui qui avait vendu la Pipe à Martha et à qui j’avais demandé du cottonwood. Je m’approche de lui et le vois en conversation avec un autre homme. Quand j’arrive, il me regarde avec un sourire et me dit : « Je parlais justement de toi. Voici Richard, c'est lui qui vend le cottonwood . » Je souris, consciente que le chemin s’ouvre à nouveau. Chaque rencontre est un fil dans le tissu invisible du destin.
Richard, c'est un poème. Il n’est pas Hopi, mais Sud-Américain d'origine. Un jour, las de sa vie, il a tout laissé derrière lui pour venir se mettre au service des Hopis. Il récolte le bois de cottonwood pour les artisans qui sculptent les Kachinas, un travail humble qu’il accomplit en vivant dans sa voiture. Mais Richard, c’est avant tout un conteur qui transporte à travers ses mots.
Un soir, je l'invite à prier avec moi. Ensemble, nous offrons nos prières à la Terre-Mère. Dans la gratitude de l’instant, il me parle de son amie Sonia, une femme qui possède une maison à Walpi, ce village perché sur la Première Mesa, l’un des plus anciens villages d’Amérique du Nord. Walpi est plus qu’un lieu ; c’est le cœur de la tradition Hopi, un village vivant où le temps s’est arrêté. Richard m’annonce qu’il veut que je rencontre Sonia le lendemain, pour qu’elle me fasse visiter sa maison.
Le jour du jeûne et des rencontres
Le lendemain, vendredi, est mon dernier jour en terre Hopi. Depuis la veille, j’ai commencé mon jeûne pour me préparer à la cérémonie de Niman. Martha est absorbée par ses réunions Zoom, et je me promène, à la rencontre des gens, des histoires.
Je sors et aperçois sur le parking, derrière son étal, Richard en grande conversation avec une femme et un homme. C’est Sonia et Ron. Ils me font signe de les rejoindre. Le courant passe immédiatement avec Sonia. Nous échangeons, partageons des photos, et elle me parle de sa famille, de sa maison. Elle m'explique que les préparatifs de la cérémonie nous empêchent d'aller visiter sa maison, la prochaine fois. La porte de sa maison reste fermée, mais le lien que nous sommes en train de tisser m'incite à aller plus loin. Je la regarde et lui demande si elle accepterait de m’enseigner quelques mots en Hopi une fois que je serai de retour en France. Elle accepte, et mon cœur exulte. C’est un souhait que je porte depuis si longtemps.
Je demande ensuite à Sonia s'il existe un lieu où Martha et moi pourrions faire une cérémonie. Ron nous indique un endroit où ils avaient l'habitude d'avoir leur hutte de sudation, au pied de la Première Mesa.
Un instant de grâce et de partage
En fin de journée, Sonia nous conduit au pied de la Première Mesa. L'air se charge d'un silence sacré et nous choisissons l'endroit qui nous semble juste, sur cette terre qui porte les prières de générations entières. C'est ici que nous nous préparons pour notre troisième cérémonie de la Pipe Sacrée ensemble. Chaque rituel avec Martha est un nouvel enseignement. Cette fois-ci, elle me révèle le secret d'un premier souffle : comment éveiller une pipe et murmurer aux esprits qui choisiront de venir y demeurer.
Nous sortons les tambours et Martha dépose avec respect sa petite Pipe Hopi. Dans ses gestes, il y a une intention infinie. Elle ne cherche pas simplement à l'initier, mais à lui donner vie. Je sens en cet instant une gratitude immense. Elle m'offre plus que des mots, elle me transmet un héritage, me guide comme une grande sœur, avec une douceur qui me touche.
Nos prières s'élèvent, portées par le son grave des tambours. La journée s'achève dans une joie profonde, une sérénité tressée par le fil de nos partages. Ce n'est pas seulement un moment de grâce, c'est la naissance d'un lien indéfectible entre nos âmes, scellé par la terre, le vent et le souffle des ancêtres.

La cérémonie de Niman : une danse sous la pluie
Notre réveil est à 4h30. Dans l’obscurité encore profonde, l'excitation est immense. Une force invisible nous pousse en silence vers le village de Shungopovi, berceau de la cérémonie. Par respect pour ce lieu et ses gardiens, je ne dévoilerai pas le déroulement de ce rituel sacré. Je me contenterai de dire que j'ai été submergé par une beauté simple, une douceur et une pureté qui m'ont ému aux larmes. C'était un chant pour le monde, une prière pour notre Terre-Mère, pour nos frères et sœurs, un murmure de l'âme qui s'élevait vers le ciel.
Comme me l’a si souvent enseigné Grandmother Medicine Song, les danseurs ont chanté et dansé leur louange au Créateur, honorant ainsi le rôle qui leur a été confié dans le récit de la création Hopi. Quand la première danse touche à sa fin, le leader sort sa Pipe et souffle la fumée sur chaque Kachina. Un effluve de Tabac vient jusqu'à moi. Non pas l'odeur désagréable de la cigarette, mais le parfum pur et sacré du Tabac Médecine qui porte les prières et l'énergie juste de cette plante sacrée.
Et comme une réponse à nos prières, à la fin de cette première danse, la pluie est tombée. Elle n'était pas un simple phénomène météorologique, mais un signe, la bénédiction des esprits qui nous disait qu'ils avaient entendu.
Après la danse, nous avons été conviés à partager un repas dans les maisons des habitants. Assis à leurs tables, nous avons échangé des mots, des sourires, écouté leurs histoires, comme si nous faisions partie d'une famille retrouvée. Cette communion simple a été l'ultime cadeau de la terre Hopi. Puis, la route nous a appelés à nouveau. Le temps de dire au revoir, le cœur à la fois plein et déjà nostalgique, et Martha a repris le volant. Des kilomètres nous attendaient pour notre prochaine étape : la Roue de Médecine dans le Wyoming.
De la cigarette à la pipe sacrée
Ce voyage dans le silence des pierres et la présence des Kachinas m'a profondément touché. J'ai appris que la sagesse ne se trouve pas dans le bruit, mais dans le murmure de la terre. C'était une nouvelle étape essentielle sur le chemin qui m'a menée de la cigarette à la pipe sacrée. Mais ce n’était que le début, car de plus grand des mystères m'attendait, dans l'immensité des montagnes, au milieu de ces roches sacrées. Le chemin se déploie à l'infini, et les signes continuent de se révéler.
À SUIVRE...
Je t’invite à relire les articles précédents de cette série, et à partager ton expérience, tes ressentis, ton propre chemin dans les commentaires. Ensemble, nous tissons la toile sacrée du lien et de la transformation.
De la cigarette à la pipe sacrée : mon chemin avec le Tabac ; De la cigarette à la pipe sacrée 2 : entre les mains de l’invisible ; De la cigarette à la pipe sacrée 3 : une porte s’ouvre doucement ; De la cigarette à la pipe sacrée 4 : quand le tabac murmure à l’oreille ; De la cigarette à la pipe sacrée 5 : le voyage de la pipe sacrée commence.
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Que ce chemin soit une prière, et que chaque pas soit une offrande sur la voie du sacré.
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